PAROLES DE L’ÉCOLE N° 2

15 Mar


Quand j’explique ma reconversion professionnelle, je m’entends souvent dire « vous avez fait le grand écart », avec un sentiment à peine dissimulé d’incompréhension.

 

C’est vrai que de charpentier à avocat, il existe un monde.

 

Si l’on décide de changer de métier, c’est que quelque chose ne va plus, que l’activité ne plaît plus. Pour ma part, je me plaignais de ne plus apprendre suffisamment.

 

On peut toujours essayer de jouer sur une variable d’ajustement, en espérant retrouver la vocation, le feu sacré… ça aussi je l’avais fait, en vain.

 

Changer de métier, c’est un peu changer de peau, se réinventer. Cela donne l’occasion d’être quelqu’un de nouveau, de renvoyer une image différente de soi.

 

Ainsi, j’ai quitté le costume traditionnel du charpentier : le largeot, le coltin et les chaussures de sécurité, pour enfiler à l’occasion un costume ajusté, et sans tâche.

 

Les copeaux dans les cheveux, les cicatrices sur les mains, et les ongles noircis par les coups de marteaux intempestifs ont fait place à une apparence soignée et apprêtée.

 

Face à un tel changement, on prend conscience du conditionnement opéré par l’exercice d’une profession. Durant vingt-deux ans, j’ai taillé des pièces de bois, mais la matière elle aussi m’avait façonné, à sa manière.

 

Changer de métier, c’est aussi sauter dans l’inconnu, c’est parfois vertigineux : on sait ce que l’on perd, pas ce que l’on gagne. Comme le soutenait Alain, il faut aimer le métier qu’on fait et non faire le métier qu’on aime, car il n’y a aucun métier qui soit tel qu’on l’ait imaginé avant de le pratiquer.

 

L’idée m’est pourtant apparue limpide dès le jour où je l’ai eue.

 

C’était en 2011, alors que j’assistais à une audience pour la première fois. La récompense ne s’est pas fait attendre : dès les premières pages de cours, un intérêt est né et n’a fait que croître au fil des années. C’est un peu comme si je commençais à comprendre comment fonctionne le monde… à 35 ans !

 

Ce nouvel apprentissage a pour ainsi dire modifié le spectre par lequel je percevais le monde.

 

En effet, contrairement à nombre de futurs confrères, j’ai été amené à traverser diverses expériences de vie avant d’en découvrir la théorie par le biais du droit (expérience professionnelle, création d’entreprises, mariage, parentalité, divorce…).

 

Ce cheminement « à l’envers » m’a donné l’occasion de trouver un support « pratique » à mes d’apprentissages, et en a facilité la compréhension.

 

Je l’espère, ces expériences seront pour moi autant d’atouts au service des futurs clients.

 

Rétrospectivement, j’ai l’habitude de dire que je n’aurais pu mener à bien de telles études au sortir du lycée. Il m’aura fallu la pratique d’une activité totalement différente pour structurer ma réflexion, et surtout me permettre de me connaître.

 

Pour autant, je ne parle ni de révélation, ni de vocation, en la matière, seul l’avenir permettra d’en arriver à une telle conclusion.

 

Poursuivant mon activité dans le bâtiment, j’ai passé six ans à grapiller du temps, à négocier avec mon entourage, pour consacrer un maximum à ma formation. Mes proches l’ont accepté, ils ont constitué le soutien indispensable à la mise en œuvre de mon projet.

 

On peut tenter de chercher le fil conducteur, la suite logique entre le métier de Charpentier et celui d’Avocat ; pour ma part, je ne l’ai pas encore trouvé.

 

Et pourtant, c’est très souvent que je me surprends à tirer des liens invisibles entre ces deux professions.

 

Tout d’abord, je dirais que l’apprentissage de ces deux métiers nécessite patience et persévérance. Le bâtiment, comme le droit, représente un domaine complet et à part entière, avec des codes, un vocabulaire propre, bien souvent inaccessible au profane. L’un comme l’autre apparaissent hermétiques au premier abord.

 

Ma caisse à outils n’est plus aussi lourde, et remplie d’ustensiles au noms barbares de trusquin, de bisaigüe. Elle s’est changée en une sacoche en cuir, aves codes, cahiers et ordinateur portable.

 

Face à une pièce de bois, la question se posait de l’outil le plus approprié, entre la scie ou le ciseau, pour réaliser un assemblage. Aujourd’hui, face à un jeu de conclusions, une alternative nouvelle se présente, entre responsabilité décennale ou contractuelle.

 

Et aujourd’hui encore, je peux, en utilisant le subsidiaire, faire valoir les deux, tour à tour.

 

Ma boîte à outils est donc toujours bien à mes côtés, elle a simplement changé de forme.

 

Une pièce de bois, si elle ne parle pas, s’exprime à sa manière. Certaines sont faites de chêne, de châtaignier, d’autres de pin ou de sapin. Certaines, noueuses, donnent du fil à retordre, d’autres encore, abattues sur les flancs d’une colline venteuse, présentent un contrefil qui dévie les outils, empêchent de suivre le fil du bois, au risque de faire des éclats, de prendre des échardes sous les ongles, et finalement de « tuer la pièce de bois ».

 

A sa manière, le client présente lui aussi différentes facettes. En suivant les méandres de ses explications, il est parfois difficile de deviner ce qu’il ne veut pas avouer. Il est aussi nécessaire de lire entre les lignes, d’interpréter les silences, les oublis, de comprendre pourquoi telle ou telle pièce ne nous a pas été transmise !

 

A la fatigue d’une journée au grand air, rythmée par les intempéries, les hurlements des machines et le va et vient des grues, se substitue un harassement, tout aussi intense et cadencé par le flux de dossiers, les rendez-vous clients, et surtout les audiences.

 

Au seuil de cette nouvelle activité, j’avoue être plus que jamais rempli d’enthousiasme, même s’il m’apparaît aujourd’hui que la marche la plus importante reste à franchir.

Guillaume BLANCHE