PAROLES DE L’ÉCOLE N° 3

08 Nov


De la musicalité du droit

D’après les mots de Léonard Bernstein, grand compositeur, chef d’orchestre et interprète américain, « la musique peut nommer l’innommable et communiquer l’insaisissable ». N’en va-t-il pas de même de l’art du droit, qui permet de mettre des mots sur l’horreur, et de donner une parole juridique aux émotions qui nous déchirent ?

L’avocat(e) usant du langage du droit doit frapper juste, et ne peut se faire entendre dans la démonstration et l’appart, où il risque de sonner creux. Le langage musical n’y déroge pas.

J’ai débuté l’étude de la musique à l’âge de 6 ans, au Conservatoire, où j’ai suivi une formation pendant près de dix ans. J’ai tout de suite développé une affection pour le violon, qui est rapidement devenu mon instrument de prédilection. Je l’ai pratiqué pendant longtemps, l’ai reposé pour un temps, pour enfin le reprendre en main et ne plus jamais le quitter.

Éprise de l’univers artistique, tant musical que pictural, j’ai longuement hésité entre des études d’art et un parcours en droit. Le dessin et la peinture font partie de mon quotidien depuis que je suis petite, et j’ai toujours rêvé d’en faire ma profession. J’ai pourtant dû trancher, et vite : la balance a finalement penché vers le droit, et ce, car je savais qu’au bout il y avait la profession d’avocate.

Il est vrai que je n’avais auparavant pas fait le lien entre la pratique du droit et celle du violon ; c’est en écrivant ce témoignage que j’ai mieux compris et apprécié leurs similitudes.

La préparation

Prendre en main un nouveau dossier c’est comme débuter une partition : après une première phase d’observation rapide – permettant d’identifier la tonalité, les indications de jeu et de nuance – il convient de la déchiffrer, c’est-à-dire de l’interpréter – dans le sens de « en exprimer le contenu » – d’un bout à l’autre, à froid. On y tire alors nos premières impressions, identifie de premières pistes, les éventuels pièges et les moyens de les contourner.

Dès lors que l’on a déchiffré la partition, il faut se l’approprier, mobiliser les outils permettant de chasser les pièges qu’elle nous tend, de pallier ses fragilités et de mettre en lumière ses richesses.

Il s’agit donc de rendre compte du morceau dans le quasi-strict respect de son contenu et de ses modulations, soit tel qu’il a été délivré par son auteur ou autrice – et par analogie, le ou la client(e). L’objectif premier de l’avocat(e) et de l’interprète est alors – sans mauvais jeu de mots – de rendre justice au morceau et à celui ou celle qui en est à l’origine.

La justesse

Les mots comme les notes de musique doivent sonner justes, pour ne plus être entendus, mais écoutés. Les artifices ou les effets de manches – ou d’archet – faussent l’essence même de la mélodie, sans lui rendre tout à fait hommage. La parole juridique permet ainsi de faire entendre la voix de celui ou celle qui en est à l’origine : le ou la client(e). En musique, la beauté d’un morceau réside dans ce qu’elle fait entendre, exprime, de son compositeur ou sa compositrice, et non de son interprète.

C’est alors en voulant être juste dans sa parole que l’on peut tenter de convaincre celles et ceux qui nous écoutent. La justesse n’exclut toutefois pas l’interprétation qui, autant en musique qu’en droit, sous-tend toute démonstration.

L’oralité

Le son créé par le violon résulte du frottement d’une ou plusieurs corde(s) mettant en vibration la table d’harmonie, sécurisée par le chevalet. C’est ce dernier qui permet aux vibrations des cordes frottées – et parfois pincées – d’envelopper l’instrument tout entier, et de faire vibrer l’ai contenu dans la caisse de résonance. C’est à ce moment-là que l’instrument restitue le son par l’intermédiaire des ouïes.

La prise de parole de l’avocat(e) semble suivre un mécanismes similaire : dès lors qu’il souhaite s’exprimer, ses poumons se remplissent d’air qu’ils envoient dans le larynx, organe abritant les cordes vocales. C’est le frottement de l’air dans son corps – sa caisse de résonance – qui lui permet d’émettre un son.

C’est ce son qui va permettre à l’interprète de saisir l’attention de celles et ceux qui l’écoutent et de les convaincre de ce que l’il dit ou joue. C’est rythmée par des nuances et des silences que la parole de l’avocat(e) peut captiver l’auditoire et l’entrainer avec lui dans son propos.

La pratique juridique n’est donc pas éloignée de la pratique artistique, et plus particulièrement musicale, car elle demeure guidée par un idéal et la recherche de ce qui nous parait être non plus beau, mais bon.

Néguine BEHECHTI